Pourquoi la soirée vole



De séance en séance
D'exposition en projection
Le temps file, le temps file

Les soirées s'entortillent autour de tes doigts
Tu tresses des filaments de lumière

Grains moulus à la main
Au mortier et au pilon
Lentement

J'invente le feu, je produis la première roue
Le plaisir est sans cesse
Renouvelé

C'est l'enfance de l'art

Mais quoi de plus sérieux qu'un jeu d'enfant?



Rien n'est gagné d'avance, rien ne coule de source
Et les alchimistes témoignent
Un peu de vif-argent
Sur les lèvres

*

De séance en séance
D'exposition en projection
C'est le fil d'Ariane du temps qui
S'enroule sur toi

Tu penses à ce poème de René Char;
Ton obsession, ton compagnon

Tu penses : voici la version nocturne et cinéphile de son poème
Tu penses : les court-métrages sont des poèmes


Pourquoi la journée vole

Le poète s’appuie, durant le temps de sa vie, à quelque arbre, ou mer, ou talus, ou nuage d’une certaine teinte, un moment, si la circonstance le veut. Il n’est pas soudé à l’égarement d’autrui. Son amour, son saisir, son bonheur ont leur équivalent dans tous les lieux où il n’est pas allé, où jamais il n’ira, chez les étrangers qu’il ne connaîtra pas. Lorsqu’on élève la voix devant lui, qu’on le presse d’accepter des égards qui retiennent, si l’on invoque à son propos les astres, il répond qu’il est du pays d’à côté, du ciel qui vient d’être englouti.
   Le poète vivifie puis court au dénouement.
   Au soir, malgré sur sa joue plusieurs fossettes d’apprenti, c’est un passant courtois qui brusque les adieux pour être là quand le pain sort du four.
René Char (1954) 


POST-SCRIPTUM

Les films tournés en Super8 d'Acadie Underground, les courts-métrages de la séance 3 (Acadie Nord/Sud), les Séances éphémères : vendredi et samedi soir dernier, des poètes de l'image ont couru au dénouement, vivifiant des techniques anciennes ou de nouvelles technologies, se creusant des fossettes d'apprenti à force de forger ces petites fictions, petits documentaires, petits fragments de lumière captée, encapsulée et distillée, offerts en fioles délirantes ou en écrins occultes, en sachets de poudres étranges ou en boîtiers finement ouvragés, en vases échancrés ou en paquets mal fignolés, en cassette fermée à clé ou en bouteilles de toutes les couleurs, de toutes les formes... 

C'était magique, évidemment! 

(Je ne suis pas là pour juger du résultat. Je ne suis pas là pour comprendre, pour critiquer, pour évaluer. Qu'importe la destination : c'est le voyage auquel on me convie qui m'intéresse.)

Le FICFA permet, à chaque année, par ses activités du volet des arts médiatiques, à des gens qui n'ont jamais fait de cinéma d'avoir des moyens techniques et de l'aide pour en faire. C'est sublime. C'est une formidable, sensationnelle chance. C'est un poème en soi, tellement c'est rare et précieux.

(Et quand un.e poète t'offre son pain qui sort du four, on ne juge pas de la mie / de l'ami; on dit : merci.)



(Les quatre images sont tirées de films de Georges Méliès, un des premiers réalisateurs de fiction)

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