Le VAM au-delà du cinéma... Rémi Belliveau

Le Festival international du cinéma francophone en Acadie, c'est de loin un de mes deux festivals préférés à Moncton, avec le Festival Frye. Coïncidence : ces deux évènements, l'un au printemps et l'autre à l'automne, se partagent les mêmes bureaux au Centre culturel Aberdeen. Le premier est résolument francophone mais dans un esprit d'inclusion extraordinaire, tandis que le second est bilingue, mais vraiment bilingue, au sens le plus « noble » du terme, puisque les deux langues officielles de la province, celle de Northrop Frye et celle d'Antonine Maillet, y sont considérées comme parfaitement égales. Ces deux joyaux sertis sur le front d'une ville qui en a bien besoin parfois, ce sont les solstices culturels d'un calendrier qui est malgré tout ponctué de myriades de rendez-vous culturels, de festivals et de spectacles de haut niveau durant toute l'année. C'est dire si la ville de Moncton est incroyablement privilégiée, au-delà de toutes proportions... Et ce qui m'émeut encore davantage, c'est que le FICFA (tout comme le Festival Frye en littérature), ne se cantonne pas à présenter des films.


Avec son volet des arts médiatiques, le FICFA offre une programmation plus expérimentale, mais qui n'est pas « élitiste » ou snob. Au contraire! On voit des gens de toutes les générations, de tous les milieux socio-économiques, qui se sentent attirés par les propositions du VAM, qui le découvre par des ami.e.s ou qui ont envie de participer à des soirées chaleureuses, inclusives, festives. Cette vision multidisciplinaire du FICFA, qui tend la main aux autres et qui ouvre les horizons sur toutes sortes d'expériences, c'est non seulement ce qui m'a permis d'écrire ici (merci!!!), mais c'est ce qui a permis de présenter des soirées dont j'ai parlées (Acadie Underground, Séances éphémères, etc.) ou que je n'ai pas encore eu le temps d'aborder (Objectifs obliques). Voici donc une trop longue intro pour parler d'une exposition qui déborde largement de la huitaine de jours que dure le FICFA, lequel s'est achevé hier dans un feu d'artifice de vins français, de films et de bamboches sous-marines...


L'exposition de Rémi Belliveau, Dissonances rurales, représente le fruit d'un de ces partenariats, ici avec la Galerie d'art Louise-et-Reuben-Cohen de l'Université de Moncton, qui donnent au VAM la pleine mesure de son importance pour les arts et la culture, au-delà de la seule industrie cinématographique, déjà bien servie par une programmation extrêmement variée et forte, que les prix La vague sont venus couronner jeudi dernier. Rémi Belliveau est un artiste originaire de Memramcook. Il a co-dirigé la Galerie Sans Nom à Moncton, avec Annie France Noël, après ses études en arts visuels à l'Université de Moncton et avant de déménager à Montréal pour s'inscrire à la maîtrise à l'Université du Québec à Montréal. Durant la conférence d'artiste qu'il a accordée mercredi dernier, Rémi a d'ailleurs fait un survol de son parcours récent, entre les différentes déclinaisons d'Évangéline qu'il a proposées lors d'une résidence d'artiste aux Îles-de-la-Madeleine, lors d'une exposition collective à la Owens Art Gallery de Sackville et lors du Congrès mondial acadien, sans oublier la fascinante aventure de son travail en cours autour du personnage de Jean Dularge...


L'artiste semble fasciné par la mémoire, la création de mythes et les symboles de l'identité acadienne sous toutes ses formes. Dans Dissonances rurales, il a eu l'idée de juxtaposer trois pistes musicales d'une durée de 11 minutes (soit la durée totale de l'ensemble des pièces composées par le virtuose acadien du violon Arthur LeBlanc), de trois violonistes qui ont foulé les planches de la même salle de spectacle située dans le Monument-Lefebvre. Jadis, celui-ci était un des édifices du campus de l'Université Saint-Joseph de Memramcook, avant que cette dernière ne déménage pour donner naissance à l'Université de Moncton, laissant derrière elle des bâtiments magnifiques et des histoires que se racontent encore les « Cookers »... Comme ce court récital qu'avait offert le grand Yehudi Menuhin devant les étudiants de l'Université et que la mémoire collective semble avoir amplifié énormément. À peine une « note de bas de page » de l'histoire de la musique en Acadie, mais traitée comme un évènement majeur. Ceci a intrigué l'artiste, et l'impulsion de l'exposition était donnée.


Rémi Belliveau a ainsi mis en parallèle avec Yehudi Menuhin deux autres violonistes, acadiens ceux-là, soit le classique Arthur LeBlanc et le populaire Éloi à Protais LeBlanc. Lors du vernissage de Dissonances rurales, l'interprétation des trois partitions fut confié à trois femmes violonistes, dans un effort conscient et très approprié de rompre avec la domination d'une histoire passée strictement « masculine », en musique comme dans les arts (et la vie) en général. C'est ce genre de considération d'une profonde intelligence qui me fait aimer Rémi Belliveau encore davantage : il est terriblement intelligent. Et terriblement exigeant avec lui-même, comme artiste. On le sent dans la méticulosité dont il fait preuve dans la recherche documentaire, dans les éléments plus techniques de l'exposition, mais aussi dans son souci du détail. Sobre dans sa mise en galerie, Dissonances rurales est pourtant multidisciplinaire, complexe dans son élaboration, riche de détails surprenants et d'artéfacts uniques. Sa puissance d'évocation dépasse largement la simple anecdote ou le charmant « pittoresque ». C'est fort, c'est moderne, c'est universel. Cette expo pourrait être présentée au Québec, ailleurs au Canada, aux États-Unis...


Dissonances rurales met en scène trois violonistes, certes, mais va beaucoup plus loin : on parle de l'Acadie, de Memramcook, de ce Monument-Lefebvre qui demeure un bijou dans la belle vallée, et on parle de mémoire, de dissonance non seulement dans les pièces musicales juxtaposées, mais dans les récits qui composent la mémoire individuelle ou collective. J'ai senti tellement d'amour dans cette exposition. J'ai senti que Rémi Belliveau avait atteint un autre niveau dans son travail. J'ai senti que l'Art au sens le plus prestigieux, le plus exigeant, le plus universel du terme, s'incarnait ici dans une démarche qui ne prenait pas le public à rebrousse-poil, qui ne cherchait pas à être volontairement incompréhensible ou choquant, mais possédait la grâce dont seul.e.s les plus grand.e.s peuvent faire preuve, et dont « les siens » (les nôtres, nos familles et nos ami.e.s), du Village des Belliveau au Village-du-Bois, de Pré-d'en-Haut à Pré-des-Surette, en passant par la Hêtrière, la Montain et la butte à Pétard, n'ont pas à rougir.


J'essaie d'être un peu impartial dans ma description, à défaut d'être objectif... et d'être totalement honnête : j'avoue, j'aime Rémi d'un amour fraternel et d'une amitié pleine d'admiration sincère depuis plusieurs années. Je suis tellement fier de lui. Fier de ce que ce jeune artiste immensément talentueux ne se satisfasse pas de répéter ce qui a déjà été fait, ce qui fonctionne, ce que ses aîné.e.s lui ont enseigné, ce qui fait « tendance » ou ce qui correspond une certaine modalité du « dire » en Acadie. Fier de ce qu'il ne fasse aucune concession sur la charge de travail que cela exige (et en cela, il n'est pas très différent d'une autre artiste-commissaire extraordinaire, Elise Anne LaPlante...). Et fier que son humour, sa sagacité, sa capacité étonnante à synthétiser et son incommensurable talent à créer de l'émotion esthétique, soient utilisés pour surprendre le spectateur. Jamais pour l'humilier, jamais pour détruire...

Il faut fréquenter cette exposition plus qu'une fois pour se familiariser avec les différents éléments (audio et vidéo, photographiques, archivistiques, théoriques) que Rémi Belliveau nous présente. Je suis convaincu que le professionnalisme de l'équipe de la Galerie d'art Louise-et-Reuben-Cohen, sous la direction de Nisk Imbeault, n'est pas étranger à la réussite de l'exposition.

Et tant mieux pour nous, elle est en montre jusqu'au 15 décembre.

 Conférence d'artiste de Rémi Belliveau dans le cadre du VAM mercredi dernier devant plus d'une trentaine de personnes.



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