Partitions


PARTITIONS

La boucle se boucle. La première offrande du VAM est également la dernière puisque les Scènes et séquences de l’artiste québécoise Olivia Boudreau continuent d’hanter la Galerie d’art Louise-et-Reuben-Cohen jusqu’au 16 décembre.

Cette galerie, située sur le campus de l’Université de Moncton, comporte trois pièces communicantes : une grande, une moyenne et une petite. Et chacune de ses pièces abrite une projection qui nous invite à former une relation avec elle.
Car comme Boudreau l’a indiqué dans sa conférence d’artiste mercredi, le spectateur occupe un rôle primordial dans sa démarche créative. Il n’est pas qu’un être passif là pour se divertir momentanément, mais agit plutôt de récepteur critique et émotif à la projection. Un rôle que l’artiste rend volontairement plus difficile en privant le spectateur d’éléments souvent clés à l’appréciation de l’œuvre : comme la lumière (pour ne nommer que le plus flagrant !), un cadrage serré, un hors-champ très actif, parfois elle élimine même le son. Ces stratégies peuvent parfois dérouter un peu le spectateur, voir même le mettre un peu inconfortable, mais comme elle l’a si bien dit, il existe suffisamment de contenu audio/visuel narratif et linéaire en ce monde pour tous ceux qui tiennent à tout prix à se faire guider passivement jusqu’au dénouement.

       Grande salle : Le retrait (54 minutes)

Une pièce sombre.
Que du noir sauf pour deux éclats contrôlés de lumière.
Le premier révèle une partition encadrée de Bach, Sur Erbarme Dich.
Prends pitié de nous.
Le deuxième, sur le mur au fond de la salle, présente le plan austère, masqué,
d’une musicienne (Florence Blain-Mbaye) assise devant une chandelle et jouant l’aria 
de Bach sur son hautbois. Un air médusant empreint d’un bel écho naturel.
Puis elle s’arrête, une pause significative.
Et elle recommence.
La musicienne nous parait grandeur nature presque, mais on ne voit qu’elle puisque le reste du ’cadre’ est masqué. Mais on comprend, et on ressent qu’on se retrouve dans une église.
La musicienne s’arrête. Silence. Pas la même durée que celui qui précédait.
Puis la mélodie envoutante résonne à nouveau.
Avec très peu d’outils, Boudreau crée un véritable ‘lieu de culte’, vaste et expansif.

Olivia Boudreau prend l’art très au sérieux. Je la qualifierais de ‘hardcore artiste’
très consciente des responsabilités de son métier. Obsédée par ses cadrages, elle aime ‘peindre’ avec sa caméra vidéo, ce qui l’amène parfois à regretter l’aspect deux poids deux mesures de son médium : les gens sont tellement habités par l’audio/visuel que, comme spectateurs, ils ont certaines attentes qu’ils n’auraient pas en regardant une peinture. Ils anticipent un rebondissement, que quelque chose va ‘arriver’. Mais Boudreau insiste que l’artiste a le droit de simplement faire un film à propos de rien, sinon du thème le plus fondamental qui soit : le passage du temps. (Olivia Boudreau a déjà tourné une vidéo 
plan-fixe temps réel de 22 heures à l’intérieur du box d’un cheval !)

       Moyenne salle: Il faut tomber (18 min)

Une vidéo plus narrative, inspirée du chantier d’écriture d’Evelyne de la Chenelière. Une Accidentée (Sophie Cadieux) horizontalement étendue dans l’herbe. Un troupeau d’écoliers (je me suis imaginé un autobus loin dans l’hors-cadre) arrive et entoure la figure prône de la femme. Mais le cadrage de Boudreau est tel qu’on ne voit que le bas des jambes des enfants. Et leurs bottes. Puis, un enfant se penche sur l’Accidentée et lui chuchote une histoire de chute dans l’oreille et déguerpit. La comédienne nous livre ensuite « une bribe, un détail, une sensation » de ce qu’elle vient d’entendre.
Un deuxième enfant se penche ensuite et chuchote dans l’oreille de l’Accidentée.
Et ainsi de suite, pendant dix-huit minutes, jusqu’à que ce que le dernier enfant libère le cadre, isolant à nouveau l’Accidentée.

Dans sa présentation, Boudreau mentionne qu’en début de carrière, elle a été influencé par le cinéma austère et naturaliste de l’incomparable Robert Bresson.
En regardant Il faut tomber, (et à l’expo en général) mes pensées se sont régulièrement faite empiéter par des mémoires visuelles du cinéma français classique (dont je suis très friand) : Cocteau, Chabrol, Clouzot... Il y a du suspens. Et même une certaine angoisse.

       Petite salle : Obscurité (5min50s)

Un court-métrage déconcertant qui illustre parfaitement la technique « priver le spectateur » de Boudreau. Une sombre sombre image.
Le bruit de pas marchant dans les bois. Après un lapse de temps obscur,
une figure se dessine enfin. Une personne aux yeux bandés qui se faufile dans le feuillage et poursuit sa mystérieuse incursion dans la forêt. Belle complicité, spectateur et sujet 
sont également dans le noir.

Elle est heavy, Olivia Boudreau. Ses projections sont tous des expériences sensorielles individuelles qui travaillent, subtilement, notre cerveau. Malgré ses techniques de ‘privation’, elle accorde toujours une belle place d’honneur au spectateur qui se sent ainsi valorisé par son acte de visionnage.

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